• LEE AARON - ELEVATE

     

     LEE AARON

     Les réseaux (a)sociaux

    S’il y a bien une chronique pour laquelle on peut se permettre des écarts d’objectivité, c’est celle du nouvel album de Lee Aaron. Puissance subtile, explosion contrôlée, équilibre absolu, sans surprise, on est fan ! Cette chronique est donc un éloge assumé à l’artiste canadienne. [Entretien avec Lee Aaron, chant, par Philippe Saintes – Photos : Theresa Mitchell]

    Lee Aaron - promo

    Je trouve qu’ Elevate offre un panorama des nombreux styles qui ont émaillé tes précédents albums.

    Ça me fait plaisir que tu me dises ça. Mes goûts musicaux sont très variés. Je reste encore aujourd’hui influencée par ce que j’écoute. Billie Eilish par exemple est une chanteuse et une productrice talentueuse. Elle a ouvert une nouvelle voie dans la musique en alliant le blues, la pop et le hip-hop. Un magazine allemand m’a récemment demandé mon top 5 des albums qui ont changé ma vie. Parmi ceux-ci, j’ai cité Physical Graffiti de Led Zeppelin pour ses ambiances et couleurs sonores. C’est un patchwork que j’adore et aussi que j’aime faire. Il y a une touche rock sudiste sur « Still Alive ». « Elevate » et « Heaven’s Were We Are » sont des morceaux de rock modernes tandis que « Rock Bottom Revolution » propose des riffs blues rock accrocheurs façon AC/DC. Cette force musicale provient surtout de la cohésion du groupe. Cela fait plusieurs années maintenant que je joue avec les mêmes musiciens.

    Tu as enregistré quatorze titres mais seulement dix figurent sur Elevate. Que comptes-tu faire des quatre morceaux écartés ?

    « What Would Jesus Drink », « Blood Money », « The Heart Wants What It Wants » et un quatrième titre dont j’ai oublié le nom, se trouvent en sécurité sur mon ordinateur.  Je ne sais pas encore où ils aboutiront. Peut-être sur une compilation ou un EP. Ce sont d’excellentes chansons mais comme nous souhaitions sortir une version vinyle de Elevate, nous ne pouvions pas y mettre plus de 45 minutes pour éviter de « serrer » les microsillons.

    Le titre éponyme Elevate est une critique sur les réseaux sociaux et leurs effets pervers. Tu sembles très sceptique par rapport à l’évolution de ces outils technologiques.

    Je pense qu’il faut effectivement s’inquiéter de la façon dont les réseaux sociaux ont pu modifier et transforment encore nos comportements, nos interactions. Je fais souvent référence au film The Truman Show avec Jim Carrey, l’histoire d’un type qui vit dans sa bulle.  Nous faisons la même chose en nous réfugiant sur Facebook, Google, Instagram,... Le problème se situe dans les algorithmes qui nous manipulent d’une certaine façon. On prend l’habitude de se connecter avec des personnes qui ont les mêmes croyances. Je pense qu’il est plus intéressant de discuter avec des personnes qui n’ont pas la même opinion afin d’avoir une vision plus large. C’est le message d’Elevate.

    « Rock Bottom Revolution » est un hymne de stade. C’est une chanson qui incarne un certain mouvement de rébellion, non ?

    C’est en quelque sorte un appel aux armes pour dire ‘stop’ à cette situation ridicule. On retrouve la même rhétorique que pour « Elevate ».  Les paroles condamnent le manque d’ouverture. C’est aussi une critique par rapport à la jeune génération à l’épiderme fragile qui censure tout ce qui l’offense. Ce n’est pas dans ma culture de penser et d’agir comme ça !

    Lee aaron promo 2

    Quelles ont été les sources d’inspiration pour les titres « Still Alive » et « Freak Show » ?

    « Still Alive » fait référence d’une manière très large à notre façon de continuer à avancer. Les pires choses nous tombent dessus mais Il faut, quelque part, accepter de vivre avec. Nous sommes des survivants. « Freak show » est l’une des quatre chansons enregistrées live durant le Covid à Vancouver. Un mini concert baptisé Rockin’ From Home.  Nous avons joué nos parties chacun à notre tour en étant filmé et cela a donné une vidéo en mode confiné qui communique à nos fans de la bonne humeur. Nous avons repris à cette occasion la chanson « Everyday People » de Sly and the Family Stone. J’ai été inspirée par les paroles de ce morceau qui parle d’égalité. Lorsque Sean m’a envoyé le riff de « Freak Show », j’ai voulu écrire une musique aussi fun. Nous sommes tous des phénomènes dans ce monde étrange. Tous les êtres sont égaux et particulièrement différents, c’est le thème de la chanson.

    Tu n'as pas pu promotionner l’album Radio On ! en 2021 à cause de la pandémie. Comptes-tu ajouter des chansons des deux derniers disques à la setlist lors de la prochaine tournée ?

    Et bien, tout dépendra de la durée du show. Dans le meilleur des cas, si je suis en tête d’affiche, je ferai un set de 90 minutes. Evidemment, j’interpréterai des chansons plus anciennes car c’est toujours intéressant de jouer la carte de la nostalgie, tu ne crois pas ? « The Metal Queen », « Whatcha Do to My Body »,… des titres que les fans veulent entendre en concert. Donc, on ne touchera pas aux classiques mais quand je fais la promotion d’un nouvel album alors effectivement je choisis au moins deux titres qui seront interprétés live. C’est amusant d’évoquer Radio On ! parce que le public a réclamé des chansons de cet album qui n’étaient pas nécessairement les singles. Ainsi, on joue « Soulbreaker , « Vampin » et « Soho Crawl». Pour Elevate, il y a plusieurs titres que le groupe aimerait interpréter lors de la tournée 2023. « Rock Bottom Revolution » en fait partie. Pour le reste rien n’est encore décidé.

    Avec le temps, ressens-tu une forme d’évolution au niveau de la tessiture de ta voix et dans ta façon de chanter ?

    Lorsque j’ai fait diversion à la fin des années en me tournant vers le jazz et le blues, je me suis vraiment fait plaisir. J’étais à la recherche des racines du rock’n’roll. Je suis devenue à ce moment une meilleure chanteuse, une meilleure compositrice et une meilleure productrice. Je n’ai pas peur aujourd’hui d’explorer de nouvelles choses avec des intonations plus bluesy. La plupart de mes chanteurs préférés, Robert Plant, Ian Gillan, David Coverdale à ses débuts ou Paul Rodgers de Bad Company, ont tous une culture blues. Ces artistes sont représentatifs de l'éclectisme musical. Je prends désormais la liberté d’interpréter de nombreuses chansons de cette manière, c’est une sorte d’émancipation vocale. Et puis, je parviens toujours à atteindre des notes hautes. Je peux d’ailleurs chanter de façon agressive comme sur Diamond Baby Blues. J’ai appris avec le temps qu’il n’était pas nécessaire de chanter de façon extrême tout le temps pour obtenir une bonne dynamique et d’être efficace. Donc, oui on peut dire que j’ai actuellement un registre vocal plus étendu.

    N’envisages-tu pas d’enregistrer un nouvel album de jazz dans le futur ?

    Il ne faut jamais dire jamais. C’est l’une de mes expressions favorites. Après avoir élevé mes enfants et mon come-back musical en 2016, j’ai pris énormément de plaisir à enregistrer à nouveau des chansons rock. Je suis très inspirée en ce moment. Mais qui sait ? Peut-être lorsque j’aurai 70 ans, je me dirai qu’il est temps de sortir un autre album de jazz. En fait, je n’aime pas m’imposer des limites. Je le ferai certainement mais quand je jugerai le moment opportun. Je viens de voir Bruce Springsteen parler de son album de reprises soul dans l’émission télé de Jimmy Fallon. Je trouve que c’est une bonne idée car sa démarche a le mérite de donner envie d'écouter les originaux!

    Lee Aaron band 2023

    Un fan a récemment créé une figurine Pop unique à l’effigie de la Metal Queen, ton alter ego. Quel est ton sentiment ?

    En fait, j’ai moi-même découvert ce modèle sur internet. La Metal Queen a même eu droit à une figurine en Lego. En réalité, j’ai une relation amour-haine avec tout cela. Je trouve génial d’être une référence pour une génération après 40 ans de carrière. Des fans ou des critiques voudraient m’entendre chanter du hard rock 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je peux le faire bien sûr mais en tant qu’artiste j’ai beaucoup plus à monter dans ma vie et sur le plan professionnel. Pour certaines personnes, je resterai éternellement la pin-up fantasy de débuts et cela me chagrine. Le journaliste du magazine Classic Rock qui a fait la chronique du nouvel album le trouve trop pop.  Suis-je censée faire toujours la même chose ? Non bien sûr ! Je suis mon propre patron. J’aime découvrir de nouveaux horizons, écrire, produire et enregistrer de nouvelles chansons. Je veux tout simplement continuer à faire ma musique. Bien entendu, je ne peux pas satisfaire tout le monde.

    Y a-t-il des artistes avec lesquels tu aimerais collaborer dans le futur ?

    Jack White ! C’est l’un de mes guitaristes actuels préférés. Il est absolument incroyable.

    Es-tu toujours en contact avec John Albini, ton ancien guitariste et co-auteur ?

    Oui. Il vit à Nashville. Il travaille dans la production et il possède son propre studio appelé Sonic Eden. Nous sommes toujours amis. Il est formidable. Je l’adore !

    « Je suis devenue une meilleure chanteuse, une meilleure compositrice et une meilleure productrice. Je n’ai pas peur aujourd’hui d’explorer de nouvelles choses avec des intonations plus bluesy. »

    Quels sont tes prochains projets. Travailles-tu toujours sur tes mémoires ?

    Oui, oui. J’ai écrit un passage justement la nuit dernière. Depuis que je me suis lancée dans cette autobiographie, j’ai sorti deux albums studios et plus récemment, j’ai déménagé. Cela a interrompu le processus. J’ai repris l’écriture mais je ne me mets pas trop de pression pour ce défi. Cela sortira bien assez tôt. Je veux surtout écrire un livre qui ait du sens. Ce sera un ouvrage complet sur mes expériences.  

    Sean Kelly, le guitariste de ton groupe a écrit un bouquin sur le scène rock au Canada durant les années ’80, Metal on Ice : Tales from Canada's Hard Rock and Heavy Metal Heroes. Quels sont justement tes cinq artistes canadiens favoris ?

    Oh, boy ! Rush est le premier nom sur ma liste. C’est un groupe sous-estimé en terme de récompenses mais aucune formation ne sonne comme Rush. C’est à mon avis, le plus grand groupe de rock canadien. J’aime bien la musique de Max Webster. J’étais une fan lorsque j’étais adolescente. Et puis, il y a les Guess Who de Burton Cummings. Les premiers albums sont uniques. Du côté féminin, je pense avant tout à Alanis Morissette. Je crois avoir quelque peu pavé la route pour elle dans les années ’80.  Son premier grand succès international Jagged Little Pill a changé beaucoup de choses pour les filles qui se sont lancées dans la musique. Alanis a été une grande source d'influence dans les nineties grâce à un style innovant.  Je n’oublierai évidemment pas Joni Mitchell qui est une véritable icône. Elle a été une pionnière en tant qu’auteure-compositrice-interprète. Personne ne peut se comparer à Joni Mitchell.

    Une question plus difficile. Quels sont les 5 titres de ton répertoire que tu préfères ? 

    Honnêtement, je ne citerai pas mes tubes car je m’en lasse vu que je les joue tout le temps. La ballade « Private Billie Holiday » de l’album Beautiful Things, est probablement la meilleure chanson que j’ai écrite.  J’ai aussi un faible pour « Twenty One » que l’on trouve sur Radio On ! mais également « Heart Fix » de Fire and Gasoline. Hmm ! Probablement « Emotional Rain » de l’album éponyme. Et la dernière,… Mon Dieu c’est dur !  « Diamond Baby Blues » je pense.  Quand on joue cette chanson en concert, il y a toujours une réaction positive du public. Même ceux qui ne la connaissent pas tapent des pieds et des mains. « Diamond Baby Blues » procure une émotion qui me fascine.

    Lee aaron promo 3

    Tes enfants ont-ils apprécié le dernier album ? 

    Jimmy Fallon a posé la même question au Boss hier. Je pense que mon fils et ma fille sont arrivés à un âge où ils commencent à réaliser ce que le travail de maman et papa est plutôt cool. L’été dernier, ils nous ont accompagnés lors de grands festivals au Canada. Ils ont été surpris de voir tous ces gens de la sécurité autour de nous. Ils se sont dit « Woohh ! Nos parents ont une certaine renommée au pays. » Ils commencent à comprendre notre activité.  Mais il y a encore un an ou deux, ils ne s’intéressaient pas à notre musique. C’était plutôt « fait moi un sandwich au beurre de cacahuètes m‘man ! » J’étais la mère sandwich (rires).

    A-t-on une chance de te voir en 2023 en Europe ?

    Cela devient de plus en plus compliqué pour les groupes nord-américains de se produire en Europe à cause des coûts du carburant et aussi les hôtels qui deviennent hors de prix. Nous pouvons juste espérer pouvoir participer à des festivals décents. Je croise les doigts. On travaille actuellement avec notre agent afin de traverser l’Atlantique. J’adore la France et je garde un excellent souvenir de notre concert à Vouziers, à l’occasion d’un petit festival. Le public et les organisateurs étaient très sympathiques. J’aimerais sincèrement revenir jouer chez vous cette année !

     Lee Aaron - Elevate cover

     LEE AARON - ELEVATE

     Hard Rock

     Metalville

    Elevate est marqué du sceau de l'exigence. L'ambiance est tantôt rythmée (« Trouble Maker ») tantôt torride (« Highway Rome »). Le refrain de la plage d’ouverture « Rock Bottom Revolution » nous rappelle les chansons vintage des premiers albums de la Metal Queen. Rien n'est fait au hasard et les mélodies sont définitivement riches et prenantes, comme sur le très bon « Freak Show » ou la ballade dansante « Red Dress » interprétée avec l’aide de la violonise Karen Barg (Transiberian Orchestra). Elevate se veut souple et inattendu. Lee s’amuse, s’essaie dans de nouveaux territoires musicaux sans pour autant perdre son identité artistique. Elle sait ce qu'elle veut, et sa musique ne baigne jamais dans une mièvre facilité. Même l’électrisant « Spitfire Woman », l’histoire vraie d’un maricide, ne met pas en défaut le travail mélodique du disque. Décidément il se passe toujours quelque chose avec Lee Aaron depuis son retour sur la scène rock. La chanteuse et son groupe surprennent mais ne déçoivent jamais. Dès lors, il serait dommage que vous ne fassiez pas l'effort de vous laisser embarquer par le rock absolument lumineux de Elevate.


     

     

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