• NIGHT RANGER : l'interview de Brad Gillis

      NIGHT RANGER

    Californication

    A l’aube de la quatrième décennie d’existence du groupe, les membres de Night Ranger savourent un regain de créativité.  Lors d’une conversation en visio depuis son home studio, Brad Gillis évoque le passé, le présent et le futur de la célèbre formation californienne. [Entretien avec Brad Gillis (guitare) par Philippe Saintes  - photos : Jack Baldes et  Ph. S.]

     Night Ranger 2021

    ATBPO (« And The Band Played On ») votre dernier opus a été écrit et enregistré en pleine pandémie. Comment était l'atmosphère au sein du groupe durant cette période difficile ?

    Les deux dernières années ont été complètement dingues. Avant le covid, on donnait 90 à 100 concerts par an. On jouait généralement le week-end car à présent on ne voyage plus dans un tourbus, ça c’est une époque révolue. Lorsque le Coronavirus s’est manifesté nous nous trouvions en République Dominicaine pour participer à un festival de rock sur la plage, le 80s In The Sand. Nous étions emballés mais nous avons malheureusement dû annuler la mort dans l’âme. Comme nous étions tous coincés à la maison pendant la quarantaine, j’ai proposé à Jack (Blades) et Kelly (Keagy) de faire un nouvel album. On alors échangé des idées sur les plateformes numériques. Sur les seize idées de départ onze ou douze ont été retenues. On ne s’est pas vu une seule fois durant la sa conception du disque. Tout a été construit à distance via Zoom, portable et par courrier électronique. C’est une situation inhabituelle mais au final nous sommes tous les cinq convaincus d’avoir créé un excellent album. Le process a pris quatre ou cinq mois car le groupe tenait à proposer un disque de qualité sans « remplissage ». Il a d’ailleurs reçu un accueil positif de la critique mondiale. Jusqu’ici, tout va bien !

    Plusieurs chansons sont taillées pour la scène. Cela ne devrait pas être difficile de les intégrer à la setlist.

    Nous avons déjà joué « Breakout ». C’est un hard rock accessible et direct qui fonctionne bien en public. Jack l’interprète brillamment sur scène. Le label a estimé que c’était le morceau qui sonnait le plus comme le Night Ranger des débuts. La vidéo a été vue de nombreuses fois sur You Tube. Nous avons aussi ajouté « Bring It All Home To Me » lors d’un show à Las Vegas, après l’avoir répété lors du soundcheck. Et puis, pendant la partie acoustique que nous intégrons à certains concerts, j’aimerai interpréter « California Hero », titre sur lequel j’utilise ma vieille Stratocaster ’57 Deluxe en raison du son ‘classique » qu’elle émet. Quoi qu’il en soit c’est toujours agréable de proposer de nouvelles chansons.

    Le décor des clips de « Breakout » et « Bring It All Home To Me » est digne du cinéma. Où les séances se sont-elles déroulées ?

    Non loin d’un parc naturel en Californie appelé Palm Springs. C’est un endroit très prisé par les touristes. Il y fait extrêmement chaud. A seulement une heure de route, on trouve un endroit appelé The Salton Sea . Un collectif d’artistes déjantés du monde entier y a créé un décor apocalyptique pour redonner vie à ce site désertique. Il est aujourd’hui plus visité que le Yosemite.  Brian Isley qui a réalisé plusieurs clips du groupe nous a filmés dans ce décor étrange au milieu des sculptures fantasmagorique. On a également effectué le shooting photo pour l’album sur place. Dans les années 80 les vidéos coûtaient des centaines de milliers de dollars et on passait des journées complètes sur les plateaux de tournage. Aujourd’hui on peut rapidement créer un clip musical simplement avec des Iphone. C’était le but recherché. On doit se montrer créatif de nos jours car l’argent ne coule plus à flot dans le monde de la musique.

    Un mot sur les deux derniers membres arrivés, Eric Levy (claviers) et Keri Kelli (guitare). Qu’ont-ils apporté concrètement sur le plan de la créativité ?

    Keri « déchire » sur cette album. Nous avons de la chance d’avoir vu passer au sein de Night Ranger des gens comme Joel Hoekstra, Reb Beach et à présent Keri Kelli. Ce sont tous des guitaristes brillants, expérimentés et reconnus. Keri a énormément contribué à la réalisation d’ATBPO tout comme Eric qui a apporté la touche finale sur plusieurs morceaux avec son jeu de claviers. L'ambiance qui règne au sein de la formation est excellente.

    Keri a été remplacé le temps d’un concert par Gilby Clarke (ex Guns’N Roses) l’été dernier. Pourquoi le choix de Gilby ?

    Gilby a fait le voyage à moto de Californie jusqu’à Sturgis, dans le Sud Dakota pour nous voir et Jack lui a demandé si il souhaitait jammer avec nous. Gilby avait déjà joué « Don’t Tell Me You Love Me », « Rock In America », « Sister Chritian » auparavant au sein d’un collectif. On a répété ensemble backstage et il a été formidable. C’est toujours un moment unique pour le public lorsqu’un invité monte sur scène. On a récemment donné un concert avec Styx et Tommy Shaw nous a rejoint pour interpréter « High Enough ». Jack et Tommy se sont partagés le chant comme sur le morceau original de Damn Yankees (1990). J’aime ces moments particuliers et spontanés.

    Le lieu de naissance a t’il une importance dans la vie d’un artiste ? La Californie dans le cas de Night Ranger.

    C’est certainement mon cas. J’ai rencontré Jack Blades en 1976 quand je suis allé passer une audition pour le groupe Rubicon. J’avais à peine 18 ans et je jouais dans un groupe de bar qui se produisait cinq soirs par semaine dans la région de la baie de San Fransisco. On jouait des titres de Lynyrd Skynyrd et de Bad Company mais aussi des morceaux plus funk car on était en pleine période disco. Cela m’a permis de diversifier mon jeu. Je jouais alors sur une Les Paul noire de ’68. Rubicon avait auditionné une trentaine de types avant moi et j’étais le dernier. Jack s’est alors mis à danser en sautant sur ses deux pieds en faisant des cercles. Je me suis aussitôt mis à l’imiter. On s’est croisé et on a tourné ensemble avec nos instruments. C’était vraiment le début de l’aventure. J’ai enregistré deux disques avec Rubicon. Le 18 mars 1978 est une date inoubliable pour le groupe puisque nous avons participé au California Jam 2, avec Aerosmith, Ted Nugent, Foreigner, Dave Mason et Santana. Ce festival s’est déroulé devant plus de 300.000 fans !

    Jack, Kelly Keagy et moi somme les rescapé de Rubicon. C’est sur les cendres de cette formation qu’est né Night Ranger fin 1979.

    Vous avez sortis des chansons qui ont marqué les esprits durant première décennie du groupe. Quel regard portes-tu sur les années ’80 ? 

    Cela a dû être énorme pour moi car je ne me souviens plus de rien (rires). Non, sérieusement c’était une époque folle. Nous avons enregistré nos trois premiers albums à Los Angeles au studio Image Recording avec le producteur Pat Glasser et l’ingénieur du son John Van Nest. Avec Jeff Watson, qui était mon complice durant cette période, j’écumais les night-clubs de la ville comme le Rainbow, le Whisky a Go Go, le Troubadour ou le Cathouse Rock Bar. Ces lieux incontournables étaient bondés de bombes blondes en string (il rit). C’était véritablement la décennie de la décadence mais il y avait de la fraîcheur et de l’énergie. Je garde d’ailleurs d’excellents souvenirs de l’ambiance en studio et de nos virées au Rainbow après les séances d’enregistrement.  On y restait jusqu’à la fermeture, ensuite, on se dirigeait vers les fêtes nocturnes organisées chaque soir sur la colline qui surplombe Hollywood. Toutes les rock- stars de la grande époque du rêve hollywoodien étaient présentes. On ne s'ennuyait pas une seconde. Je ne suis pas pour autant nostalgique puisque Night Ranger est à la veille de son 40è anniversaire. 

    Brad Gillis - Kiss Kruise

    As-tu rencontré Eddie Van Halen au cours de ta carrière ? 

    Oui, je l’ai rencontré au 5150. Je passais une soirée au Rainbow, dont j’étais un client régulier, lorsque je suis tombé sur son roadie, Zig Clark qui m’a demandé si je voulais visiter le studio d’Eddie. J’ai évidemment sauté sur l’occasion. Dany Chauncey, le guitariste de 38 special avec qui j’ai grandi, était également présent. Lorsque notre petit groupe est arrivé au domicile d’Eddie, la porte du studio était ouverte et il était entrain de jouer de la guitare. Eddie s’est montré très amical. J’ai pris une basse et on a improvisé une jam. C’était un grand bazar joyeux mais son épouse Valérie est venue frapper à la porte pour demander à Eddie d’arrêter tout de suite et de renvoyer ses potes. On a dû partir sur la pointe des pieds (rires). 

    C’est Eddie qui m’a donné l’envie d’utiliser le Floyd Rose. J’en ai trouvé un au Don Wear’s Music City, un magasin à San Fransisco.  C’était le troisième des 20-25 vibratos fabriqués par Floyd D. Rose dans son garage. J’ai voulu me différencier des notes torturées qu’employait Eddie. On peut vraiment entendre mon style sur les deux dernières notes de mon solo sur « Don’t Tell You Love Me ».   

    La suite pour Night Ranger ?

    Désormais, on se contente des opportunités qui se présentent. Cet été nous avons participé à plusieurs rendez-vous musicaux comme le Summer Fest, un grand festival à Milwaukee qui se déroule sur quatre jours avec une cinquantaine de groupes. On s’est également produit au Minnesota State Fair en compagnie de George Thorogood & The Destroyers. Nous avons la Kiss Kruise cet automne, une tournée au Japon l’année prochaine. On nous verra aussi au Sweden Rock Festival avec les Guns’N Roses l’été prochain. On profitera d’ailleurs de cet événement pour ajouter plusieurs dates en Europe... Entre les concerts, je construis un nouveau studio d’enregistrement à la maison, un vrai mur du son juste en dessous de mon salon (rires). Bref, je ne m’ennuie pas et c’est très amusant

    « Je ne suis pas nostalgique des années ’80 puisque Night Ranger est à la veille de son 40è anniversaire. »   

    En parallèle, tu as d’autres projets musicaux puisque tu as collaboré avec Billy Sheehan (basse, Mr.Big) et David Hugg (batterie, Giant) pour le label Frontiers. Peux-tu nous en dire plus?

    Nous avons travaillé avec un très bon chanteur brésilien Renan Zonta. Alessandro Del Vecchio est aux claviers et a produit l’album. Celui-ci est en boîte mais je n’ai aucune idée de la date de sortie.  Je prépare également un disque solo. Gary Moon (ex- Night Ranger) assure le chant et mon vieil ami Derek Sherinan (claviers, Black Country Communion) joue sur tous les morceaux.  Ces deux albums sortiront normalement au premier trimestre 2022.  

    Ton premier concert ?

    B.B. King, Weather Report et Copperhead lors du Winterland festival à San Fransisco (CA), en décembre 1972. J’avais 14 ans. 

    Ta première guitare ?

    J’ai reçu ma première guitare, de la marque Kay à l’âge de 8 ans. J’en ai 110 aujourd’hui à la maison et une quarantaine d’amplis.

    Les 5 chansons de Night Ranger que tu préfère jouer sur scène ? 

    Don’t tell You Love Me, Rock In America, Sister Christian, Eddie’s coming out tonight  et Touch A Madness.

     

    ATBPO - cover

    NIGHT RANGER

    ATBPO 

    (Frontiers Records)

    Night Ranger, toujours fidèle au poste, en est à treize albums studios. Un chiffre porte-bonheur ? En tout cas les arrangements sont fort bien réalisés, les compositions solides, les mélodies riches et les musiciens excellents. Jack Blades et Kelly Keagy forment à la fois un duo complémentaire au chant et une section rythmique solide. Brad Gillis et Keri Kelli travaillent leur manche en faisant percer le feeling sous le savoir-faire. Le disque débute par le très rock’n’roll « Coming For You » clin d’œil avoué au « Brown Sugar » des Stones. « Bring It All Home To Me » est précis et juteux avec un riff monstrueux de Gillis tandis que « Breakout » nous rappelle les heures de gloire du combo californien qui a tout de même vendu plus de 17 millions de disques. Sur le bluesy « Hard To Make It Easy », l’âme des Doobie Brothers transparaît. « Can’t Afford A Hero » est une ballade savoureuse alors que « A Lucky Man » doit autant au rock qu’à la country.  « Cold As December » déboule aussi vite que l’Eurostar sous la Manche et  « Monkey » vous pète à la gueule avec son ambiance hard et funky. Le plus reposant « The Hardest Road » puise ses influences dans le r&b mais c’est le mid-tempo « Tomorrow » qui clôture l’essai. Certes, Night Ranger a eu son temps et il prend de l’âge mais avec suffisamment d’allant pour rester un groupe ‘électrique’, gare aux courts-circuits ! [Ph. Saintes] 

    Retrouvez cet article dans Metal Obs' #97

     

     

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