• DEEP PURPLE : interview Ian Paice

    DEEP PURPLE
    Vers l'infini et au-delà... 

     Le 20e album studio, InFinite, qui sort le 7 avril sur le label earMusic, va propulser Deep Purple vers de nouveaux sommets. Le groupe défie une nouvelle fois le temps qui passe, en proposant un disque qui séduira trois générations, ce qui est peu banal. Vous comprendrez alors que le jour où l’on a mythique batteur de cette formation à l'autre bout du téléphone, l’on puisse trouver le temps bien court. [Entretien avec Ian Paice (batterie) par Philippe Saintes – photos : Jim Rakete]

    Deep Purple  - Infinite promo

    Avant d’aborder le nouvel album, on se souvient Ian que tu as été victime d’un mini AVC, en juin dernier. Peux-tu nous donner des nouvelles de ta santé ? 

    Effectivement, j’ai été hospitalisé après avoir constaté un engourdissement et une gêne au côté droit avant un show en Suède. C’est le premier concert de Deep Purple annulé par ma faute depuis 1968, ah, ah ! J’ai été très chanceux de ne pas avoir gardé de séquelles sérieuses. Je considère cela comme un avertissement divin. Mon sang étant trop épais et j’ai dû avaler quatre tablettes de comprimés par jour pour le faire fluidifier et baisser la tension. Le médecin, m’a également imposé une période de revalidation de 6 mois mais aujourd’hui, je suis bon pour le service, crois-moi  !

    C’est une bonne nouvelle. Tu as aujourd’hui 68 ans et Roger Glover s’apprête à fêter son 71è anniversaire. Est-ce le succès de No What ?! qui a poussé le groupe à retourner en studio ou simplement l’enthousiasme de jouer ensemble ?

    Now What ?!  a dépassé toutes nos estimations ! Le succès commercial est évidemment une excellente chose mais c’est avant tout la volonté de poursuivre une collaboration fructueuse avec Bob (Ezrin) qui est à l’origine  de ce nouvel album. C’est le « boost » dont nous avions besoin. Il n’est jamais satisfait, va droit au but et ne nous laisse jamais déconner. Avec lui, vous avez toutes les chances d’arriver au meilleur résultat possible. Si on écoute nos deux derniers albums, on s’aperçoit qu’il y a une caractéristique, un lien de famille. A la fin de la production, Bob a déclaré « jamais deux sans trois, les gars ». C’est révélateur de l’excellente atmosphère qui a régné dans le studio. On est déjà impatient de retravailler avec lui.

    Vous avez effectivement opté pour le même studio (le Tracking Room à Nashville) et le même producteur. Pourtant InFinite n’est pas un copié-collé de Now What ?! Quelle est la principale différence selon toi, entre les deux albums ?

    Quand nous entamons un nouveau projet, notre but est de créer quelque chose de différent. Les évènements qui se déroulent dans le monde, ont toujours façonné notre façon de composer. Un album est un marqueur temporel qui illustre l’évolution musicale du groupe mais aussi nos influences à chaque période…Depuis l’enregistrement de Now What ?!, la planète a connu plusieurs tragédies. Les idées  proposées pendant la période d’écriture ont été influencées par ces évènements récents. Il y a évidemment eu les attentats terroristes qui ont touché Paris et Bruxelles. La  colère et la peur se reflètent dans le disque car nous avons été profondément bouleversés par ces attaques. Le climat était différent au moment d’enregistrer No What ?!, il y a cinq ans déjà...

    Est-ce que ce fut un enregistrement rapide comme le précédent ?

    Le processus est identique. Deep Purple est un cercle. Nous enregistrons toujours ensemble en studio. On a mis en boîte les bases instrumentales de Now What ?! en une dizaine de jours, et celle de inFinite en sept jours. Ensuite, mes partenaires ont rajouté les overdubs, les solos et d’autres trucs. Si vous enregistrez très vite, généralement le résultat est fort bon. Vous capturez en effet les 2, 3 premières prises de chaque chanson quand elles sont encore nouvelles, fraîches et existantes pour les musiciens. Lorsque vous arrivez à 15 ou 20 prises différentes,  vous ne créez plus mais vous recréez plutôt ce que vous aviez imaginé au départ, et l’instant magique disparaît. C’est horrible ! Si le résultat n’est pas parfait, grâce aux techniques modernes, vous pouvez toujours éliminer les petites imperfections. Le but était vraiment de garder intact le côté direct.  

    DEEP PURPLE :Infinite promo2

    Il y a des spéculations à propos du titre InFinite. Vous réalisez que certaines personnes sont inquiètes et pensent que c’est vraiment votre dernier disque ? Cette rumeur est d’ailleurs renforcée par le nom de la tournée, The Long Last Goodbye.

    C’est effectivement un titre ambigu et à la fois très intéressant. Le logo de Deep Purple sur la pochette est relié au symbole représentant l’infini. Il y a une réelle connexion entre l’image et le titre. La musique une fois enregistrée est immortelle, elle est infinie, ce qui n’est malheureusement pas le cas des musiciens (rires).  Il faut être honnête, nous sommes plus proche de la fin que du début mais aucune décision n’a été prise concernant l’avenir de Deep Purple. Ce titre peut être source de significations sans comporter pour autant un message caché. Pour être honnête, l’idée vient en fait de notre maison de disques. Chacun peut laisser libre cours à son imagination. Regarde le bateau sur cette même pochette, est-ce qu’il avance ou au contraire recule-t-il ? Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ? On peut imaginer plein de choses, il n’y a rien de figé. On a là une pochette très esthétique  et c’est ce qui est le plus important. Si elle éveille l’esprit ou provoque une réaction auprès des personnes qui achètent le disque, tant mieux.

    Le premier single « Time For Bedlam » a déjà séduit les inconditionnels de Deep Purple…

    C’est une chanson très forte. Bedlam était un ancien hôpital où l’on traitait les personnes atteintes de folie, il y a deux siècles en Angleterre. Des dissidents politiques ou religieux étaient également envoyés dans cet asile. Le gouvernement employait cette méthode très simple finalement pour se débarrasser de « ses gêneurs ». De nombreux individus sains d’esprit ont été internés jusqu’à la fin de leur vie. Time For Bedlam raconte la vie d’une personne innocente qui, pour diverses raisons, a provoqué la colère des autorités de l’époque et a été injustement internée. Elle a vécu jusqu’à son dernier souffle dans cet enfer. Ce n’est pas une critique envers un mode de pensée ou une personne en particulier, c’est une fiction inspirée de faits qui se sont produits il y a 200 ans. Le solo de claviers au milieu du titre est aussi une description symbolique de la folie humaine.  Plusieurs idées ont été proposées  pour l’intro, mais nous avons opté pour un texte narratif proche du chant grégorien. 

    Il y a aussi des morceaux entraînants sur ce disque, je pense  notamment à  « One Night In Vegas ».

    « One Night in Vegas » est une histoire vraie. C’est arrivé à Don Airey (claviers) il y a plusieurs années alors qu’il jouait à Vegas. Ce fut une nuit bien arrosée et il ne tenait plus debout. Le lendemain matin, il s’est réveillé avec une fille dans son lit. Stupéfait, il lui a demandé : ‘Mais qui es-tu et qu’est-ce que tu fais là ?’. Elle lui a répondu : ‘mais je suis ta femme’ (rires). Don l’avait épousé lors de cette virée, alors qu’il ne tenait pratiquement plus debout. C’est une anecdote cocasse, mais la fin est encore plus drôle, puisqu’ils sont toujours ensemble aujourd’hui, trente ans plus tard !  

    On trouve aussi un véritable chef d’œuvre sur l’album, « The Surprising », un titre long de six minutes. Il y a une incroyable interaction entre tous les instruments …

    Nous étions dans le local de répétition, essayant de créer quelque chose de neuf, lorsque Steve a improvisé un riff de guitare qui m’a fait penser à un rythme de Ray Charles et j’ai aussitôt produit le break de cymbale qui résonne sur l’intro de Steve. Les autres se sont ensuite joints à nous. Chacun était dans une forme optimum et nous avons été littéralement portés par la musique. C’est vraiment une création collective. Quand j’ai quitté le studio avant les arrangements, il n’y avait pas ces longues notes de guitare et ce break de clavier au milieu de la chanson. La direction du morceau avait complètement changé. Le tempo augmente de façon vivace sur le dernier couplet, ce qui  dramatise le final. Même remarque pour « Get Me Outta Of Here » , les arrangements rendent le titre sensiblement plus massif et compact. En fait, ce disque est autant une découverte pour toi, qu’il ne l’est pour moi (rires).

     

    La musique de « Birds Of Prey » est également très complexe. Cela démontre qu’après toutes ces années, le groupe continue d’explorer.

    « Birds Of Prey » est ma chanson préférée. Il est très facile de répéter ce que vous avez imaginé antérieurement en changeant quelques éléments. Toutefois il est bien plus amusant pour un musicien d’essayer de trouver de nouvelles motivations. Certes, en musique tout a été dit et inventé mais cela n’empêche pas l’inspiration. Il ne faut pas avoir peur de revisiter un riff ou un accord mais en changeant habilement la perception pour que cela ne devienne pas  caricatural. Notre but sur ce disque a été de préserver notre patrimoine en ajoutant quelques subtilités.

    « On Top Of The World » se clôture avec un étonnant oratoire de Ian Gillan.

    Là encore, le texte fait référence à un fait réel. Une aventure rocambolesque qui est arrivée à Ian quand il était jeune. Les textes sont très vicieux. Avec tous les couplets, la chanson aurait duré au moins 15 minutes. Roger a alors imaginé de la synthétiser en proposant à Ian de lire le texte comme un poète, à la fin du morceau. La musique s’accorde parfaitement à la voix tout en saisissant bien le vrai caractère des paroles. Ian et Roger ont un talent fou pour superposer des idées !

    Enfin, l’album se clôture avec une reprise du « Roadhouse Blues » des Doors qui est jouée avec une aisance déconcertante.

    Nous avions déjà inclus une reprise de Jerry Lee Lewis « It’ll Be Me » sur Now What ?! On a grandi avec ces vieilles chansons qui sont, au fil des années, devenues une partie de nous-mêmes tellement nous y sommes attachés. Lorsque nous nous sommes posés la question de savoir quelle cover enregistrer sur InFinite,  j’ai suggéré « Roadhouse Blues », titre que j’avais joué en concert l’an dernier avec le cover-band Purpendicular. Un soir, nous avons mélangé cette reprise avec « Black Night » car elles ont des fondations communes au niveau du tempo et du groove. « Roadhouse Blues » sidère par son évidence et son pouvoir attractif. On l’adore ! Dans le studio tout le monde avait la banane, les musiciens, le producteur, l’ingé son,…. Cela nous a pris une demi-heure pour boucler le morceau. Les Doors ont marqué une époque avec des disques fabuleux.  

    DEEP PURPLE : Infinite promo3

    Quels sont les titres de InFinite qui ont le potentiel pour se retrouver sur la set-list ?

    Ça c’est la question à 63.000 dollars (rires). Lors d’un concert de 2 heures, ce qui est un timing raisonnable, nous allons essayer de contenter tout le monde en jouant des classiques et des morceaux du dernier album mais pour le moment nous ne sommes pas encore mis d’accord sur le choix des titres. On sera très sélectif car certaines chansons ne sont pas faites pour être vécues en live. Je pense que des titres up et mid-tempo comme « Time For Bedlam », « One Night In Vegas » ou peut-être « Birds Of Prey » peuvent fonctionner en concert. 

    Ian, en dehors de la musique, quelles sont tes passions ?

    J’adore cuisiner dans un cadre relaxant. J’aime savourer ce que j’ai préparé mais aussi découvrir de nouvelles saveurs. J’aime aussi pêcher en eau profonde mais pas pour l’aspect sportif comme Ian Gillan qui lui est plutôt  un ‘chasseur de poissons’ (il rit). J’apprécie surtout les petites choses simples qui peuvent me relaxer. C’est important car la vie en tournée est plutôt intensive  et il est dés lors essentiel d’être à 100% mentalement et physiquement. En dehors de la scène, je suis plutôt quelqu’un de passif. Sinon, comme tout britannique qui se respecte, j’aime un club de football, Nottingham Forest, qui évolue en division 2 anglaise. Ce n’est pas une grande équipe mais quand vous êtes supporter c’est pour la vie !

    J’ai lu que vous aviez vos petites habitudes. En Belgique, vous descendez presque systématiquement dans le même hôtel à Bruxelles et il n’est pas rare de vous voir dans un bar cubain de cette même ville, où des quidams peuvent vous aborder…

    C’est vrai, c’est devenu une tradition de fréquenter l’établissement qui se trouve juste sur la Grand Place et ce club appelé « Havana » où d’excellents artistes jouent la nuit de la musique populaire cubaine, à deux minutes à pied de notre hôtel. Après un concert, je m’y arrête généralement avec Roger et Don pour profiter d’un instant musical, me relaxer et savourer quelques bières pendant une heure/une heure et demie. C’est le  genre d’endroit tranquille où l’on peut bavarder normalement. Ces moments-là vous permettent de décompresser après une journée intensive. Se produire sur scène devant des milliers de personnes est un plaisir mais le reste du temps vous devez voyager, répondre aux interviews et diverses sollicitations, respecter des timings serrés.

    Jean-Claude, le batteur du tribute band belge Fireball m’a confié qu’il était devenu batteur après avoir entendu ton groove sur In Rock et Machine Head. Lars Ulrich de Metallica a déclaré la même chose. Tu as probablement influencé plus de batteurs que n’importe qui d’autres mais tu restes très humble sur le sujet. 

    La musique est une passion pas une obsession. Je connais des batteurs qui sont obnubilés par la technique. Moi, je joue avant tout parce que cela me donne un plaisir énorme, et si en plus ma musique suscite de l’admiration chez les jeunes et les pousse à se perfectionner toujours davantage, c’est fantastique. 99% des individus ne parviennent à trouver le don qui est enfoui en eux. Si fortuitement, nous arrivons à provoquer une réaction, à éveiller leur imagination, c’est fabuleux Je n’ai pas commencé la batterie en me disant que j’allais devenir une rock star et entrer dans l’histoire. Tout le monde peut atteindre ces buts à condition de faire ressortir ce talent caché et d’accepter les moments de découragement. Pour en revenir à ta remarque, je suis évidemment très honoré d’avoir pu allumer la flamme de plusieurs batteurs connus ou moins connus. J’ai moi-même beaucoup écouté et copié Gene Krupa qui apparaît dans de nombreux films en noir et blanc hollywoodiens (Note : « Certains l’aiment chaud » de Billy Wilder, « Romance inachevée », « The Gene Krupa story »,…). En fait, je n’avais aucune envie de devenir batteur, je voulais juste être Krupa à l’âge de 12 ans. Le mouvement de ses bras m’impressionnait et captait toute mon attention. C’est son improvisation qui m'intéressait. J’ai commencé ma démarche artistique en analysant son style et sa technique, devant la télé assis dans le sofa de la maison. A 15 ans mon père m’a acheté mon premier kit de batterie et l’histoire a continué.

    En tant que citoyen anglais, que penses-tu du Brexit ?

    J’ai voté pour le maintien dans l’Union européenne. Ce qui est normal pour un musicien qui a l’habitude de voyager. Mais pour la majorité des britanniques, c’est différent. L’Angleterre n’est pas dans l’espace Schengen, nous devons donc toujours présenter notre passeport et l'euro n'est pas la devise adoptée par le Royaume-Uni. Mon sentiment personnel est que l’union économique et monétaire européenne est une idée fantastique malheureusement l’institution évolue vers le fédéralisme ce qui est une erreur. Il y a trop de cultures différentes en europe. Les politiciens de Bruxelles voient cela différemment, pour eux il faut d’abord être européen. Chaque pays doit régir ses propres lois, ses propres tribunaux et parfois même sa propre unité monétaire au regard des difficultés qui affectent la zone euro. Une partie importante des lois nationales résultent de décisions prises par un organe non élu, non représentatif du peuple. C’est ce qui a entraîné la victoire du camp du Brexit. La souveraineté de la représentation nationale britannique est sacrée dans l'esprit des Anglais. On n’a pas voulu quitter l’Europe, mais simplement reprendre le contrôle. Je crois en une Europe intègre mais pas en un état fédéral.  Nous ne sommes pas les Etats-Unis. Le citoyen américain se sent totalement américain, tandis que l’Européen se réclamera d’abord  de son État d’origine. 

     

    DEEP PURPLE : Infinite cover

    DEEP PURPLE

    InFinite

    EarMusic -Verycords

    Si vous avez craqué sur Now What ?!, il y a cinq ans, il en ira de même pour ce 20è album. Les vétérans britanniques montrent qu’ils en ont encore sous la pédale. On a droit tantôt à des choses surprenantes (« Johnny’s Band » dont le break est librement inspiré du célèbre « Louie Louie » des Kingsmen), tantôt à du Purple tout ce qu’il y a de plus classique (« Time For Bedlam ») ainsi qu’à des chansons matinées d’une influence jazz (« The Suprising »). Sans surprise, le travail des musiciens est mis en valeur par la production du sorcier Bob Ezrin. Lorsque Ian Gillan ouvre la bouche, les oreilles vibrent tandis que les claviers et guitares s’en donnent à cœur joie (« All I Got Is You », « Get Me Outta Of Here »). Enfin, le riff de « Birds Of Prey » est asséné avec une force phénoménale par le groupe soudé comme un seul homme. Un chef-d’œuvre ? N’anticipons pas, seul l’avenir confirmera si InFinite  est digne ou non des In Rock, Fireball ou Machine Head. Agrémentée d’un documentaire (From Here To inFinite), la version Deluxe témoigne de la période d’écriture de l’album et des sessions d’enregistrement. L’histoire de cet album a été habilement capturée dans le studio par les caméras de Craig Hooper (réalisateur). C’est touchant, amusant et grisant. Un constat s’impose, nos sexagénaires savent encore s’amuser. Demande-t-on autre chose à Deep Purple qui n’a plus rien à prouver ? [Ph. Saintes] 

     www.deeppurple.com/

     


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